Vous avez aimé l’univers de Vulka ou hésitez à l’explorer ? Accompagnez-nous en coulisses pour (re) découvrir les particularités de ce voyage signé L·A Morgane…
Dans le fond
Waia longeait régulièrement la rive abrupte qui serpentait entre ces deux étendues irréconciliables.
Le lieu de l’intrigue comporte une mer de lave et un océan aqueux qui se corrodent mutuellement. Cette incompatibilité entre le feu et le froid met en exergue le fait que la quête de perfection de Waia est impossible. Pourquoi avoir choisi ces éléments en particulier ?
Même dans notre univers, le froid est synonyme d’immobilisme. Quand on atteint le zéro absolu, on n’observe plus de mouvement chez les atomes. La vie implique au contraire d’agir, donc de se déplacer. La vie, c’est le changement. C’est pour cela qu’on parle « d’évoluer », à la fois dans le temps et dans l’espace, car même un être qui semble physiquement inerte se transforme en permanence.
Les vulkas incarnent idéalement cette notion, puisqu’elles sont des êtres de lave, donc de chaleur, donc de motion et de vie pure. En cherchant la perfection, Waia se contraint à refroidir, donc symboliquement à vivre moins. Cette ambition, quoiqu’admirable, est aussi morbide, car elle restreint son existence et l’empêche d’en profiter pleinement. Kilao est au contraire animée et pleine d’entrain, bien que son acceptation totale des imperfections la mette au ban des attentes sociales.
Puis elle s’examina attentivement et, du bout des doigts, s’attela à remodeler les parties de son corps que la lave avait déformées.
« Vulka » traite en premier lieu de la construction du et de soi… par soi-même ! Peux-tu expliciter ce que tu souhaitais communiquer dans ce récit ?
Je m’interroge avant tout sur la manière que nous avons de construire nous-mêmes notre identité, qu’elle soit positive ou non. Comme dans « Vulka », nous sommes nos propres sculpteurs, et l’individu qui façonne notre vision de nous-mêmes avant toute autre.
Cependant, les personnes extérieures jouent un rôle très important dans cette construction. Le récit le montre lorsque Waia façonne Kilao à sa demande, et manque alors de la tuer.
Mais nous sommes également notre propre bourreau, et notre corps, bien qu’imparfait, est aussi notre unique vrai soutien. Il se démène du mieux qu’il peut pour supporter notre existence. Il se révèle parfois contre-productif, souvent frustrant, mais jamais mal intentionné.
On doit ces imperfections au hasard de la reproduction sexuée, et cela fait partie des fatalités sur lesquelles nous n’avons aucune prise, et pour lesquelles il s’agit, à défaut de se résigner, de se faire une raison.
Kilao plongea affectueusement ses doigts liquides dans la chevelure rutilante. « Tu peux faire ce que tu veux, maintenant. Explorer le monde, animer d’autres vulkas… Et de plus magnifiques encore ! »
Elle rit, et porta son regard vers Waia. Cette dernière contemplait, la mine sombre, le dos de la plus belle des vulkas en train de s’éloigner.
Cette approche montre aussi qu’à sa manière, chacun crée son univers social, et que les autres, ou du moins notre relation aux autres, est le fruit de notre création. Kilao accepte tout le monde sans a priori, et elle est par conséquent adorée de ses créatures, alors que Waia n’entretient qu’une relation distante, froide et, au final « morte » avec les siennes.
Je nuancerai cependant en rappelant que ce façonnement de nos liens sociaux n’est pas suffisant pour nous garantir l’amour ou l’appréciation d’autrui. Kilao est très aimée de ses proches, mais les vulkas qui ne partagent pas son esthétique la maintiennent à l’écart et ne la tiennent pas en haute estime. À l’inverse, Waia n’a pas d’amies, mais elle est admirée par les vulkas qui la connaissent à peine.
Ces deux vulkas se coupent volontairement des autres, et leur lien communautaire reste distant et détaché, en partie parce que leur relation à elle-même est incomplète. Waia est obnubilée par sa quête de perfectionnisme, et Kilao se considère au contraire comme trop laide pour plaire à quiconque. Elles s’isolent du monde par narcissisme et manque d’estime de soi.
Le seul attachement qu’elles nouent vraiment, au final, est celui qui les lie l’une à l’autre, parce qu’elles parviennent à s’apprécier par le biais de leur création artistique. Malgré leur obsession pour l’apparence physique, elles jugent objectivement les compétences de l’autre et c’est ainsi qu’elles arrivent à accepter qu’une autre personne puisse les trouver dignes d’amitié.
Elles ont toutes les deux conscience qu’elles sont soumises au jugement des autres en fonction de leur aspect et réagissent soit par un perfectionnisme maladif soit par l’abandon total de leur personne, ce qui se révèle destructeur dans les deux cas. Ce n’est que lorsqu’elles se rencontrent sur le plan de leurs capacités, sur lesquelles elles ont un certain contrôle, qu’elles parviennent à tolérer ce jugement, et à s’ouvrir à l’autre.
Kilao variait les chevelures, les tailles, les styles. Aucune de ses sculptures ne se ressemblait. Waia, au contraire, était connue pour sa beauté singulière de ses statues.
Ce texte présente deux visions de la création artistique : l’une très inventive et dénuée de recul critique, l’autre au contraire perfectionniste et répétitive.
Kilao crée avec ses émotions, sans recul critique, comme les enfants. Son inventivité n’est donc bridée par aucune contrainte. À l’inverse, Waia passe son temps à reproduire et perfectionner la même œuvre, à la recherche d’un idéal impossible. Ce sont deux manières de créer, l’une très instinctive et l’autre purement intellectuelle, qu’il est difficile de concilier.
Les deux écoles ont leurs avantages et des inconvénients. La première laisse livre court à l’inventivité, mais peut causer un défaut de qualité. La méthode de Waia, plus technique, produit un résultat plus impressionnant, mais moins imaginatif.
Pour moi, les deux manières de faire se valent en fonction de la finition que l’on escompte obtenir, et je pense qu’une artiste fait bien de tirer parti des deux. En écriture par exemple, il me semble bon de ne pas se brider durant son premier jet, mais de revenir sur le texte ensuite avec une approche intellectuelle afin de le peaufiner.
À choisir, cependant, il vaut sans doute mieux préférer la technique de Kilao, qui crée dans le bonheur et sans rechercher un idéal dogmatique dans ses créations. Pour elle, tout est beau, alors que Waia pose un regard sévère et souvent destructeur sur ce qui ne correspond pas à sa notion personnelle de l’esthétique.
Elle devait s’attarder davantage sur ses pieds, que sa position statique écrasait au sol.
Tu mentionnes beaucoup les pieds de Waia. Serais-tu fétichiste ?…
À vrai dire, les pieds sont une des parties de mon corps dont je me préoccupe le moins. Mais dans ce cas-ci, ils incarnent littéralement l’aspect vain et morbide de la quête de Waia, car elle ne peut marcher sans les déformer. Le pied est donc symbolique de l’impossibilité pour elle d’atteindre la perfection, un idéal qui n’aurait plus les pieds sur Terre, pourrait-on dire. C’est la partie de son corps qui l’ancre dans le monde matériel.
Anecdote annexe : comme je suis bilingue, j’ai fait un anglicisme horrible, mais hilarant (mais horrible) dans la première version de mon texte. Je mentionnais en effet souvent la « sole » des pieds de Waia, ce qui signifie « plante des pieds » dans la langue de Shakespeare. Je ne me suis pas rendu compte tout de suite que j’avais attribué à mon personnage des pieds en forme de poisson plat…
Elle chercha sa main du bout de ses doigts brûlants.
Étant donné la relation entre Waia et Kilao, peut-on considérer qu’il s’agit plutôt d’une histoire d’amour ou d’amitié ?
C’est une histoire d’amour vulka, sur laquelle il serait incorrect d’appliquer des préconceptions humaines. Puisque les vulkas se reproduisent par la sculpture, leur façon d’aimer dépasse automatiquement l’entendement humain.
Cependant, je ne peux décrire leur relation qu’en tant qu’histoire d’amour car, dans un texte littéraire, c’est la manière la plus évidente de réconcilier deux notions. Waia représente la recherche excessive de perfection, Kilao la tolérance totale pour le monde tel qu’il est, et leur réunion incarne l’équilibre qu’elles trouvent entre ces concepts.
Le récit dépasse cependant la métaphore, car ces deux personnages sont aussi un miroir l’un de l’autre. Elles sont en effet toutes les deux insatisfaites d’elles-mêmes, même si l’une cherche à se corriger en s’imposant une vie spartiate alors que l’autre émule chez autrui l’amour qu’elle ne parvient pas à s’accorder à elle-même.
Je parle donc avant tout d’amour de soi, ce qui fait de ce récit une histoire d’amour à plus d’un titre.
Pour la forme
Il faisait nuit, et le lac de magma orange, en se reflétant sur l’immensité bleue du ciel, jetait ses flammes sur la mer.
La dernière phrase de ton récit rejoint la première, dans la tradition littéraire du récit circulaire. Pourquoi as-tu choisi cette structure pour ton histoire ?
Je voulais signifier un renouveau dans l’existence de la protagoniste, sans indiquer que sa vie serait radicalement différente. Même si sa routine quotidienne demeure inchangée, elle entame une nouvelle phase d’existence car son appréhension du monde a radicalement évolué.
Son univers change donc tout en restant le même, d’où cette notion de circularité. Comme dans le terme « révolution », qui indique à la fois un bouleversement fondamental et le fait pour une planète de revenir à sa position initiale.
Waia était réputée pour la minutie de son travail, et pour conférer à ses gisantes l’apparence idéale de la vie.
« Tu vas l’emmener au Makua aujourd’hui ? », demanda Kilao en s’approchant pour admirer son ouvrage.
D’où viennent les noms de tes personnages ?
Je me suis inspirée des noms de volcans existants : le Kīlauea, ou Kilauea est un jeune volcan hawaïen très actif, alors que le Waianae est plus tranquille. J’ai changé trois fois leurs prénoms, car je n’en étais pas satisfaite… Quand à Makua, il s’agit d’un mot hawaïen signifiant « parent ».
J’aime partir de mots existants, car cela me permet d’explorer et de mettre en avant des pans du réel. J’adore les littératures de l’imaginaire, mais j’ai souvent l’impression que les humains ignorent que notre planète abrite des secrets magiques…
Propos de plume
Le cône de Makua était constitué de lave prismée, qui formait une enceinte d’immenses colonnes grises. On y pénétrait par la brèche ouverte lors d’une éruption violente, en suivant la rivière de magma durci qui en avait coulé jusqu’à son cratère de métal bouillonnant.
Pourquoi avoir choisi d’explorer une planète volcanique ?
C’est un lieu que je côtoie depuis l’enfance. Je me suis souvent raconté l’histoire de personnages de lave qui vivraient dans ce type d’univers. Cette version est assez nouvelle, mais découle naturellement de ma fascination pour la braise et les flammes.
Certaines se baignaient dans les rigoles de lave, d’autres discutaient en groupe. Quelques-unes, venues en spectatrices, s’étaient assises autour du creuset d’or pour observer l’entrée des artistes.
Pourquoi avoir créé un monde uniquement féminin ?
Étant donné leur méthode de conception, on pourrait dire que les vulkas se reproduisent par parthénogenèse, un type de reproduction asexué qui n’exige pas de différenciation sexuelle au sein de l’espèce. Ce sont donc des êtres unisexes et, bien que j’ai genré mes personnages au féminin, ce ne sont techniquement ni des femelles ni des mâles, juste des vulkas.
Cependant, comme la langue française ne comporte pas (encore) de genre « neutre », j’ai bien dû faire un choix entre le féminin et le masculin. Je venais d’écrire En Plein Cœur, qui met en avant deux hommes, alors j’ai équilibré avec le féminin dans Vulka. D’autre part, il m’a semblé logique de ne pas différencier mes personnages puisqu’ils sont le reflet l’un de l’autre. Introduire une romance hétérosexuelle plutôt qu’un couple homothétique aurait faussé le message que je souhaitais transmettre.
Le manteau des nuages s’écarta momentanément, laissant paraître l’univers froid, piqueté d’étincelles blanches, dans lequel évoluaient seize lunes.
Tu évoques « seize lunes » dans ta nouvelle. Est-ce une lubie temporaire, ou l’annonce d’autres récits à venir ?
La plupart de mes histoires se déroulent dans « l’univers du Songeur », où je viens de développer une nouvelle galaxie. Dans celle-ci, seize satellites stellaires évoluent autour d’une même planète.
Je surnomme cet univers « Seize Lunes », et j’ai prévu d’en rapporter des récits sans lien les uns avec les autres, contrairement à mon univers « des deux Terres », qui suit la chronologie d’une seule planète à travers le temps et l’espace.
J’ai cependant comme projet d’établir un lien entre ces deux lieux très éloignés dans le Songe…
« Je voulais embellir le monde. »
Comment t’est venue l’idée de ce récit ?
Comme Kyllyn’ pour Le Sifflement du serpent, je participais à un atelier d’écriture sur le thème « créateur et créature ». Je me suis dit que j’avais déjà lu des histoires de pygmalions qui donnaient vie à leur fantasme, et je souhaitais rédiger quelque chose de neuf sur le sujet.
Donc, au lieu de réfléchir à un créateur qui modèlerait une autre personne d’après ses désirs, pourquoi ne pas explorer notre propre relation à la construction du soi ?
J’ai commencé par imaginer un monde où chaque remarque sur notre physique nous affecterait visuellement, et de fil en aiguille j’en suis arrivée à explorer l’univers des vulkas.
« Il serait présomptueux de prétendre que quelqu’un comme moi peut créer quelque chose de magnifique. »
Quel est ton propre rapport à la notion d’estime de soi et de beauté ? Es-tu plus comme Waia ou Kilao ?
Je pense tenir des deux personnages, ou plutôt que ces deux personnages tiennent de moi. J’ai les mêmes tendances que Waia lorsqu’il s’agit de création artistique, bien que je souhaite désormais me comporter davantage comme Kilao. Mais je pense que ce récit ne m’a pas permis de découvrir comment nouer une meilleure relation à l’autre, et c’est d’ailleurs visible dans le parcours de mes protagonistes. Ces deux facettes d’une même personne parviennent à s’équilibrer dans leur rapport à la quête de perfection, mais leur lien social n’a pas évolué, et le mien non plus.
Cela fait quelques années maintenant que j’écris quotidiennement avec une amie — des récits privés qui n’ont pas vocation à voir le jour — dans lesquels je m’interroge sur la quête de perfection, surtout morale. Je n’ai toujours pas trouvé de réponse à mes questions, donc je ne suis pas près d’en faire une histoire originale.
Il s’agit cependant d’un thème qui me tient à cœur, et qui reparaîtra certainement dans mes prochains récits.
Vulka vous a inspiré d’autres réflexions ? Laissez-nous vos propres interprétations en commentaires !