Une des questions qui revient le plus souvent sur les réseaux sociaux littéraires est « quelle longueur doivent faire mes chapitres ? ». C’est une interrogation légitime à laquelle j’entends répondre, non pas en sortant ma calculatrice pour mesurer le quota de mots nécessaires à chaque chapitre… Mais en expliquant ce qu’est un chapitre en tant que tel, et comment l’identifier ou le construire de manière cohérente. Vous verrez alors que c’est moins une question de longueur que de teneur.
Qu’est-ce qu’un chapitre?
Avant tout, il convient de rappeler qu’un chapitre est une division d’un livre. Ce n’est qu’un passage du texte qu’on a séparé visuellement des autres par une mise en page spécifique. Cependant, les lecteur·rices assidu·es savent qu’il existe d’autres divisions possibles : une partie, par exemple, regroupe plusieurs chapitres. Il peut être délicat de différencier la division physique des chapitres d’un livre et leur division narrative. Parfois elle se recoupe, et parfois non.
Division narrative versus division physique
Je vais prendre pour exemple la saga Les Enfants de la Terre de Jean Auel. Le tome 1, Le Clan de l’Ours des Cavernes, introduit l’histoire par un passage qui explique comment Ayla, une petite Cro-Magnon curieuse et babillarde élevée par une famille aimante, est adoptée par un groupe Néandertal silencieux et traditionaliste. Cette partie introduit les personnages, l’époque et le lieu de l’action, ainsi que les enjeux de l’intrigue : comment cette enfant parviendra-t-elle à s’intégrer à des êtres aussi différents d’elle-même dans leur fonctionnement ? Il s’agit d’une division narrative, spécifiquement nommée « exposition ».
Le Clan de l’Ours des Cavernes est cependant le tome qui introduit le reste de la série. Il sert de préambule aux autres aventures d’Ayla. Ce livre est donc en lui-même une exposition qui présente la protagoniste et son enfance, ses capacités, son approche du monde, et l’enjeu du récit à venir : comment va-t-elle interagir avec un environnement radicalement différent de celui auquel elle est habituée ? Cette division est donc narrative… mais elle est aussi physique, car elle est contenue dans un livre unique en version imprimée.
Pour Les Enfants de la Terre, nous avons donc une exposition de la saga (Le Clan de l’Ours des Cavernes), et une exposition dans chaque tome introduisant leurs enjeux propres. Certaines de ces divisions sont concrètes et visuelles, puisque les livres et les chapitres sont séparés les uns des autres physiquement. D’autres sont détectables par l’étude de la narration elle-même.
Laquelle de ces divisions nous intéresse ? Les deux ! En effet, la distinction visuelle des chapitres se fait en s’appuyant sur leur unité narrative. On doit donc d’abord identifier le chapitre en tant qu’unité narrative avant de le transformer en ensemble de pages identifiable grâce à une mise en page spécifique.
Qu’est-ce qu’une unité narrative?
Le chapitre est un exemple typique d’unité narrative. Une unité narrative est un passage de l’histoire qui a un début, un milieu et une fin propre. C’est, pour faire simple, un récit dans le récit, qui ne pourrait cependant pas être lu indépendamment de l’histoire. Comme mentionné précédemment, l’exposition de Les Enfants de la Terre présente la protagoniste, la situation dans laquelle elle se trouve, puis annonce l’intrigue. C’est un récit homogène, une narration qui présente une unité, c’est-à-dire une unité narrative.
Pour se simplifier la vie, les unités narratives portent des noms distincts. Il ne serait pas pratique de parler de « chapitre du début » ou de « chapitre comportant des sous-chapitres »… Mais, pour se compliquer la vie, certains des termes employés sont synonymes d’autres mots qui ont un sens proche…
Je vais vous présenter les divisions visuelles et concrètes du livre, des unités narratives les plus grandes jusqu’aux plus petites. Si vous lisez beaucoup, vous les reconnaîtrez facilement !
Divisions concrètes
L’Univers du récit
J’appelle l’ensemble des textes formant une même histoire l’univers du récit. Au cinéma, on parle aujourd’hui d’univers étendu ou de franchise (Star Wars, Marvel…). Il s’agit du monde où se déroule un ensemble de récits donnés. Par exemple, Le Simarillion, Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux de Tolkien se déroulent dans le même univers.
On peut subdiviser cet univers en plusieurs récits distincts : Le Simarillion est une genèse mystique, Le Hobbit un conte et Le Seigneur des Anneaux une fantasy épique. Ces livres se déroulent dans le même monde sans être le même récit.
Le récit : saga ou série?
Au sein de l’univers, on distingue des récits distincts. Ces récits, s’ils sont retranscrits dans plusieurs livres, forment une saga ou une série, voire un mélange des deux.
Saga
La saga est un récit racontant les péripéties d’un même groupe de personnages. Dans Les Rougon-Macquart, Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, Zola entreprend de dépeindre l’avènement et l’évolution d’une même famille dans une vingtaine de romans. Il entend ainsi étudier leur époque, le Second Empire, et ses diverses classes sociales. Pour revenir à Les Enfants de la Terre, tous les tomes se suivent et forment donc une saga.
Série
La série est un ensemble de récits liés mais présentant chacun une unité propre. Les séries épisodiques comme les Sherlock Holmes de Conan Doyle ou les Miss Marple d’Agatha Christie en sont un bon exemple : les personnages sont récurrents, mais on n’a pas besoin de lire leurs aventures dans un ordre particulier.
Dans mon propre cas, j’écris notamment dans « l’univers du Songeur », qui comporte à la fois des sagas et des séries. On retrouve par exemple le personnage de Vi dans La Gazelle Pourpre, et il restera central ensuite dans d’autres tomes. Il s’agit donc de saga. Mais je travaille également sur des tomes sériels, c’est-à-dire qui présentent une intrigue indépendante au sein de cet univers. Par exemple Sophia, l’héroïne de La Mue de l’araignée, devrait reparaître aux côtés de Vi dans un roman, mais en tant que personnage secondaire.
Le livre (ou volume) et les tomes
Chaque saga ou série est divisée en livres (ou volumes). Cette segmentation se fait généralement pour des raisons pratiques. Un livre imprimé obéit à des contraintes d’impression, et il est plus facile de vendre deux romans de taille raisonnable qu’un unique pavé de deux mille pages. Par ailleurs, c’est souvent plus rentable. Dans le cas d’une saga, puisque chaque objet livresque dépend l’un de l’autre, on parlera de tomes. Pour une série, la logique est autre : chaque livre peut être lu indépendamment des autres. On parlera de livre ou de volume.
Les Enfants de la Terre illustre bien ces divisions livresques. On y suit les mêmes personnages sur plus de cinq mille pages, ce qui serait compliqué à imprimer, mais surtout difficile à lire en un seul tome. Cette saga est donc divisée en plusieurs livres, qui présentent un moment clef de la vie de la protagoniste, selon le mode sériel. Dans mon édition, certains de ces tomes sont même subdivisés en deux, ce qui nuit à l’unité de sens mais rend l’ouvrage physique plus pratique. On est donc face à une saga sérielle divisée en tomes à la fois parce que chaque livre est cohérent en soi, et parce que c’est plus ergonomique du point de vue de l’impression et de la vente.
Divisions narratives
Jusqu’à présent, je vous ai parlé de divisions évidentes. C’est d’autant plus facile à comprendre quand on mentionne le livre en tant qu’objet physique. Mais ce n’est pas plus compliqué quand on passe aux subdivisions abstraites du texte. Ces unités narratives comportent toutes, comme un chapitre, un début, un milieu et une fin propre. Elles se distinguent par leur cohérence mais ne peuvent être lues indépendamment du reste de l’histoire. En somme, si Les Enfants de la Terre nous présentait Ayla pour s’arrêter à son adoption, les enjeux présentés dans l’exposition ne seraient pas résolus. On ne peut lire cette introduction sans lire le reste du texte car, bien qu’elle raconte un récit en soi, elle est incomplète en elle-même.
On ne peut donc pas supprimer un de ces passages sans détruire la cohésion de l’œuvre, mais on peut les isoler et les mettre en avant grâce à une mise en page particulière. Le chapitre d’un roman est par exemple chapeauté d’un numéro ou d’un titre. On peut donc visuellement subdiviser un livre grâce à sa mise en forme. C’est le prolongement naturel de la division physique d’un long récit en tomes, mais au cœur d’un même ouvrage physique.
Parties (ou Livres)
Comme au théâtre, une partie (ou « livre » quand le récit ne comporte pas plus d’un livre physique) est constituée d’un arc narratif cohérent comportant un début, un milieu, et une fin. On appelle le début « exposition », le milieu « péripéties », et la fin « dénouement ». Cet arc narratif est un changement majeur, une série d’actions apportant un renversement de valeurs important au sein du récit.
On en trouve généralement trois, par tradition (comme dans les contes), mais aussi parce que ce nombre permet d’introduire des aventures variées tout en évitant la répétition. Dans le même but, il est intéressant de varier la teneur de ces arcs narratifs. Si le premier a pour enjeu « rester en vie », il serait plus intéressant que les autres se focalisent autre chose, par exemple « explorer son identité » ou « réaliser son rêve ». Évidemment, il faut aussi conserver une cohérence thématique au sein de son œuvre.
Prenons l’exemple du Seigneur des Anneaux de Tolkien. L’éditeur a séparé ce volume épais en trois livres, ou trois parties, qui sont parfois physiques (trois livres imprimés) ou typographiques (une page de séparation au sein d’un même livre). La première partie ou livre, intitulée « La Communauté de l’Anneaux », raconte comment un groupe de protagonistes entame un voyage, s’enrichit de nouveaux compagnons, mais finit par se séparer. La deuxième partie, « Les Deux Tours », suit les différents groupes de personnages soit vers la tour noire de Sauron, soit vers la tour blanche de Saroumane, soit dans la préparation de leur combat contre les seigneurs de ces tours. La troisième partie, « Le Retour du roi », raconte le combat désespéré des protagonistes jusqu’au rétablissement de l’ordre et le retour à la normale.
Les chapitres
Une partie peut-être subdivisée en chapitres, qui représentent un changement modéré au sein de l’arc narratif.
Reprenons la partie ou livre 1 du Seigneur des Anneaux « La Communauté de l’Anneaux ». Dans le premier chapitre, Frodo reçoit un anneau en héritage. Dans le chapitre deux, il découvre qu’il s’agit d’un anneau magique. Et dans le troisième, il part mettre l’anneau en lieu sûr. Aucune de ces actions n’est en elle-même très folichonne, mais elles font toutes progresser l’intrigue générale vers son dénouement.
Visuellement, les chapitres peuvent être séparés les uns des autres de deux manières. Si le livre est long, il peut être chapeauté d’un titre, numéroté ou non, et commencer par exemple sur la page de droite. S’il est court, on peut se contenter d’un saut de ligne accompagné d’un symbole typographique, par exemple l’astérisme (⁂).
Les scènes
Ces chapitres comportent eux-mêmes des scènes, des changements mineurs au cœur d’un chapitre qui peuvent être définis selon les règles d’unité du théâtre classique de lieu, action ou temps.
Dans « Une réception depuis longtemps attendue », le premier chapitre de « La Communauté de l’Anneaux », la première scène nous apprend que Bilbo organise un anniversaire mémorable. Suite à un saut de ligne, la deuxième scène expose que, si ses voisins sont impatients d’y participer, ils trouvent ce monsieur Bilbo bien bizarre. La première scène se place d’un point de vue omniscient, assez éloigné du personnage, alors que la seconde rapporte des témoignages directs des commérages le concernant. Le changement de sujet, de lieu de l’action et de point de vue justifie le changement de scène.
Une scène peut être indiquée visuellement par un saut de ligne, accompagné ou non d’un symbole typographique tel que l’astérisme (⁂). Le symbole permet de mettre en exergue l’importance du changement.
Les paragraphes
Chaque scène peut elle-même être subdivisée en paragraphes, des changements minimes qui s’attardent sur une idée principale.
Dans la première scène de « Une réception depuis longtemps attendue », le premier paragraphe nous apprend que Bilbo organise son anniversaire, à la grande joie de ses voisins. Le second paragraphe nous donne la raison de leur impatience en racontant que Bilbo est à la fois très riche et inexplicablement jeune d’apparence malgré son âge avancé. Et ainsi de suite.
Un paragraphe se reconnaît à un alinéa en première ligne.
Conclusion
Comme vous pouvez le constater, je n’ai pas abordé une seule fois la question de la longueur des divisions narratives. Mais comme vous l’aurez maintenant compris, c’est une question qui ne se pose pas : la séparation visuelle des unités narratives dépend de leur contenu. Un chapitre ne se définit pas par son nombre de mots, mais par sa cohésion interne.
Si vous êtes capable d’identifier les changements entre les scènes et les paragraphes, vous savez comment découper votre texte pour qu’il s’adapte à toutes les contraintes de longueur tout en maintenant sa cohérence. À vos plumes !